L’histoire de la formation de diaspora azerbaïdjanaise
Durant 200 ans, la formation de la diaspora
azerbaïdjanaise s’était faite
essentiellement par les citoyens de trois pays différents
: Azerbaïdjan du Nord et Sud et la
Turquie. Les Azerbaïdjanais constituent
le peuple turcophone azéri
vivant en République
d'Azerbaïdjan, en Iran, en Géorgie, et dans la Fédération de la Russie. Les statistiques sur le
nombre
des Azerbaïdjanais ont été calculées sur
la base du rapport de
l'UNESCO, le Comité d'État pour la
Coopération avec les Azerbaïdjanais à l’Étranger, l'information des ambassades dans les pays étrangers et le Congrès des Azerbaïdjanais du monde. Définir le nombre exact est
très difficile[1]. Tout
d’abord, il faut signaler que la géographie de la
diaspora azerbaïdjanaise et la détermination
de son nombre ne sont pas faites. Aujourd’hui, sans avoir la statistique concrète nous ne pouvons pas parler des chiffres. Cependant, dans son discours le président Ilham Aliyev remarquait : je suis le président de 50 millions d’Azerbaïdjanais[2].
Par contre, ce manque d'historique est lié aux événements sociopolitiques. Par exemple, après la conquête du Caucase par les Russes, jusqu’au début du XXe siècle, sur la carte d’identité des
Azerbaïdjanais écrivait « identité russe ». Malheureusement,
pendant la
période soviétique, elle est devenue «
nationalité soviétique ». Outre cela, pendant une longue période les Azerbaïdjanais vivant en Iran, en Turquie, en Géorgie et en Russie sont
considérés comme tatar, azéri, turc
qui a aussi rendu le compte difficile
(Aliyev, 2005
: 82).
Bayram Balci définit deux notions
différentes les Azéris et les Azerbaïdjanais qui
se retrouvent éparpillées dans
plusieurs pays
du monde. Il souligne : certaines
de ces populations sont originaires du territoire de l’actuel Azerbaïdjan,
d’autres ont une parenté ethnique ou linguistique avec les Azerbaïdjanais, d’autres encore, à peine conscients de leur proximité ethnique ou linguistique avec les Azerbaïdjanais d’aujourd’hui, sont perdus comme des co-ethniques par les autorités Azerbaïdjanaises postsoviétiques
(Balci, 2008:187). Selon l’auteur, les communautés azerbaïdjanaises d’Iran, de Turquie, de Russie et de l’Europe, en raison
de leurs sociopolitiques n’ont pas un rapport
particulier envers
leur origine. Aujourd’hui, la République d’Azerbaïdjan ne peut donc pas véritablement s’appuyer sur cette
diaspora et la Russie est le seul pays oùelle dispose d’une diaspora importante, avec environ
un million de personnes (plus de deux millions selon d’autres estimations). À l’exception d’une petite communauté en Turquie et en Géorgie,
seule la diaspora azerbaïdjanaise de Russie semble faire preuve de dynamisme et offrir une certaine visibilité à son
pays
d'origine.
La population de langue et de
culture azerbaïdjanaise dépasse largement le cadre de l'Azerbaïdjan, puisqu'elle représente 35-40 millions de personnes, principalement installées en Asie occidentale. La plus
grande communauté est iranienne, essentiellement groupée au Nord,
dans la région de Tabriz. Elle compte environ 20 millions de personnes, soit près de deux fois et demi de
la population de l'Azerbaïdjan[3]. Lors du deuxième Congrès sur la diaspora
azerbaïdjanaise dans le monde à Bakou (16 mars 2006), le président Aliyev affirme que le nombre d’azerbaïdjanais dans le monde est de
50 millions dont 30 millions vivent en Iran. A.
Yunusov écrit qu’après ce discours, le 25 mars 2006, l’ambassadeur iranien d’Azerbaïdjan
soulignait dans son interview qu’en réalité dans
son pays vit plus de 35 millions d'Azerbaïdjanais
(Yunusov, 2009 : 147).
Aujourd’hui, ces Azerbaïdjanais vivent dans 70, pays y
compris la République d’Azerbaïdjan. Les Azerbaïdjanais habitant en Iran, en Géorgie,
en
Fédération de Russie, devenus des citoyens étrangers au cours de certains événements
historiques spécifiques résultants de
la délimitation des frontières, ne sont pas considérés comme appartenant à la diaspora. L’Arménie est exclue de cette liste, car durant le conflit du Karabakh les Azerbaïdjanais ont été
chassés de leur terre. En 1998,
le Comité d’État Statistique d’Azerbaïdjan dénombrait 204 667 réfugiés du Karabakh entre 1987 et 1994, dont 201 000 Azerbaïdjanais, 2 359
Kurdes et 1 239
Russes (Yunusov, 2009 : 26).
En Azerbaïdjan, la notion de diaspora est récente, mais le processus de l’émigration et
de l’installation dans
différents
pays
du monde est ancien.
Aujourd’hui, la loi sur
« La politique de l’État à l’égard des Azerbaïdjanais vivant à l’étranger » stipule que : les citoyens de la République d’Azerbaïdjan
et
leurs enfants qui vivent en dehors de la République, les anciens
citoyens de la République
soviétique d’Azerbaïdjan ou
de la République d’Azerbaïdjan vivant à l’étranger et leurs enfants, et les individus qui se rattachent à l’Azerbaïdjan pour des raisons ethniques, linguistiques, culturelles ou historiques (le Comité d’État pour la Coopération avec les Azerbaïdjanais du Monde).
L’Encyclopédie Nationale d’Azerbaïdjan (2007) présente la notion de diaspora
azerbaïdjanaise ainsi : les personnes ayant des
raisons économiques, sociopolitiques particulières, sociales et autres, victimes d’émigration forcée ou volontaire de leur territoire
d’origine, vivant à
l’étranger, gardant et développant leurs appartenances nationales et culturelles conservant toujours
un lien avec le pays d’origine, ainsi qu’ayant des rapports linguistiques et des valeurs religieuses, représente la diaspora azerbaïdjanaise (Azərbaycan Milli
Ensiklopediyası, 2007).
Selon sa formation historique, la diaspora azerbaïdjanaise
a connu quelques étapes (Vəlixanlı, 2007) :
1) La
première étape
commence à la fin du VIIème et au début du VIIIème siècle avec
l’occupation des Arabes. Avant cette date, il
n’y a pas de recherches sur la
diaspora azerbaïdjanaise. On suppose que jusqu’à cette époque il y
a eu une légère émigration azerbaïdjanaise en Asie et en Europe. L’installation d’une autre
langue, culture et religion a causé le départ au Proche et Moyen-Orient surtout à la Mecque. Cependant, l'arrivée
des
conquérants arabes qui s’opéra lors de l'expansion de
l'islam au milieu du VIIème siècle a provoqué l’émigration des zoroastriens
en Inde et en Chine. Les auteurs Ibn Kutaïba (« Kitab- echècherve chuera »)
et Aboulfaradj Isfahani (« Kitab el-aghani ») dans
leurs œuvres
montrent l’existence des poètes azerbaïdjanais à Médine, parmi eux, Musa Chahabat, Ismayil
ibn Yesar, Abdoulhasan Keskhani, Khatib Tebrizi, Ebu Omar Osman
Sefbendi, Ebuhefiz Omar
ibn Ali Zendjani pour ne citer
que les plus célèbres (Rizvan,
2002).
2) La suite de la première période a débuté avec la renaissance en Orient. À cette période, l’Azerbaïdjan
a des
relations culturelles avec l’Europe et l’Asie. Sous l’occupation de Tamerlan (Timur le Boiteux 1136-1405) et la Horde
d’Or, la plupart des
villes azerbaïdjanaises ont été détruites et les artisans, les artistes ont été
déportés vers
l’Asie centrale. Cette étape a continué jusqu’au XIXème siècle où nous avons assisté à une forte émigration des savants et des étudiants vers
le Proche et Moyen-Orient.
Xatib Tabrizi (XIème s.), Nesreddin Tusi (1201-1274), Chefieddin Urmevi (XIIIème s.), Ebdürrechid Bakuvi (XIVème
et
XVème s.), Oruc bey Bayat (1560-1604), Hadji Zeynalabdin Chirvani (1780-
1838), etc., sont des personnes célèbres à l’étranger[4].
3) La
formation de la troisième période de la
diaspora
azerbaïdjanaise commence après la conquête du Caucase par la Russie. Ici, nous pouvons
parler de l’émigration systématique liée aux événements politico-militaires et la guerre russo-persane. Le développement de la culture
et
du sentiment de la conscience nationale a été détruit.
La Guerre du Caucase durera 70 ans, entre 1802 à
1872. Si jusqu’à cette période
il existait une tendance vers l’Orient, à
partir du XIXème siècle elle change pour l’Occident. Dans certaines villes de Russie comme Kazan et Saint-Pétersbourg
les langues turques commencèrent à être étudiées et enseignées.
À cette époque, l’émigration ne se faisait pas seulement vers la Russie, mais aussi vers l’Empire
ottoman ou l’Iran. Les
noms de personnages célèbres comme Mirze Kazimbey, Mirze Djafar Toptchubachov, Mirze Ebuturab Vezirov, Abasgulu
agha
Bakikhanov, Ismail
bey Goutgachinli, Mirze Feteli Akhoundov, etc. signent l’apparition de la nouvelle
génération d'intellectuels.
Khaleddin Ibrahimli (1996) dans Azərbaycan Siyasi Mühacirəti 1918
– 1991 présente quelques périodes de l’occupation
russe :
a) La
première période débute avec
le traité du Gulistan,
mais n’entraîne pas une
forte émigration. Les
khanats azerbaïdjanais essayent de
rétablir leurs
pouvoirs.
b) Après le
traité de Turkmentchay la Russie consolide sa position au Caucase. Une
nouvelle période commence pour le
peuple divisé en deux obligeant des milliers de
gens à l'émigration.
c) Les guerres de Crimée (1853-1856) et russo-turques (1877-1878) posent une nouvelle
difficulté pour les Azerbaïdjanais qui essayent d’organiser une diaspora en Turquie, en Iran et en
Europe.
d) Dans cette période, l’auteur englobe les événements qui
se passent entre 1908-1918. Durant cette période, des émigrants comme E. Houseynzade, M. E. Rasoulzade, A. Ağaoğlu
commencent leurs activités
diasporiques en créant différentes
publications en Turquie, en
Iran, en Russie
et en Europe.
4) Au début du XXe
siècle, l’émigration des Azerbaïdjanais prend un caractère intensif et
cause une forte émigration des intellectuels. La quatrième étape
couvrant toute la période du
XXe siècle se résume en quelques périodes:
a)
Avec les révolutions
dans la région: la Russie 1905-1907, la
collision arméno-azerbaïdjanaise
1905, la révolution en Iran
(Sattar Khan) 1908, la révolution en Turquie
et
les Jeunes Turcs 1908.
b) Avec la Première
Guerre mondiale 1914-1918 et l’effondrement de la République Démocratique d’Azerbaïdjan (1918-1920).
c) Avec la Deuxième Guerre mondiale 1939-1945 et la révolte de 1945 en Iran (Seyyed
Jafar Pishevari).
d) Avec la révolution iranienne
de 1979.
e)
Avec
l'effondrement de l’URSS et l’apparition d'une nouvelle
diaspora.
La première communauté
nationale à
l’étranger est apparue après la
Deuxième Guerre mondiale. En 1949, l’Association
Culturelle Azerbaïdjanaise fondée par M. E. Rasoulzade
fait
le premier pas dans l’organisation
de la diaspora. Une autre « Association Azerbaïdjan-Amérique » est créée
en 1958 au New Jersey. À cette
période, les réalités politiques
du problème avec
la diaspora empêchaient de bâtir l’idéologie nationale
pour construire une forte
communauté. En 1946, est créé la
Société d'Amitiés et de Relations
Culturelles d’Azerbaïdjan
avec les pays
étrangers. À partir de 1960, celle-ci a commencé à publier le journal Vətən səsi (la voix du Patrie) qui sera remplacé en 1982 par Odlar
Yurdu (Terre du feu)[5]. Entre 1974 et
1975, l’association réussit à organiser
des
journées de
la culture
azerbaïdjanaise en France, en
Italie, au Danemark
(Tahirli, 2001). Par contre, nous signalons qu’en général, la communauté azerbaïdjanaise à l’étranger
n’avait pas
de liens directs
avec cette association
et cela
s’explique
par la dureté du
système soviétique.
Vers la fin des années 1980, le chef de l’association Vətən, Eltchin Efendiyev joua un
rôle exceptionnel dans la création des relations entre la diaspora et la patrie ainsi qu’entre les
savants comme Tadeusz Swietochowski, Ehmed Chimide,
Audrey L. Altstadt, etc. Entre 1986-1992, l’association réussit
à fonder une cinquantaine de clubs, cercles, amicales et comités à
l’étranger. Avec l’influence de la tragédie sanglante commise par les troupes soviétiques à
Bakou le 20 janvier 1990 (Janvier Noir) 120
associations ont été créées dans plus de
30 pays pour
exprimer leurs protestations
contre cet
acte atroce (Tahirli 2007).
Bibliographie
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10. ДOЛГИХ Елена Ивановна (2001) Эмиграция из России (DOLGUIKH Elena Ivonova, L’émigration de la Russie), интернет-журнал "ПОЛЕМИКА", 2001, №9.
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Dr. Vazeh ASGAROV
[1] Selon le Congrès des Azerbaïdjanais du Monde, le nombre des Azerbaïdjanais vivant dans 67 pays a dépassé 50
millions
[2] Journal Azerbaïdjan, 17
mars 2006
[4] Oruc bey Bayat
(1560-1604) est un historien et diplomate d’origine azerbaïdjanais. Il est arrivé en Espagne en tant qu’ambassadeur
de l’État séfevide et après sa mission a décidé de rester à Madrid. Après s'être converti au
christianisme, il est appelé Iran Don Juan. La reine de l'Espagne Margarita devient sa marraine. Le livre « Fars
Don
Juan » (1603) reste le premier livre publié en Espagne et en Europe par un auteur azerbaïdjanais.
[5] Le journal Odlar yurdu (Terre du feu) publiait en langue azerbaïdjanaise en caractères cyrilliques, latins et
arabes et envoyait aux associations
azerbaïdjanaise à l’étranger.
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