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mercredi 17 septembre 2014


Les grands noms de l’immigration azerbaïdjanaise  

Gedir Suleyman ou Suleyman Gedirov?  


S’ils savaient que tu travailles pour largent, tu pouvais être étranglé[1]


Gedir Suleyman dans son appartement de Paris. Photo darchives de Vazeh Asgarov

Jusquà la moitié du XIXème siècle dans le droit international, lutilisation de la force des prisonniers en temps de la guerre n’était pas tolérée. La première convention sur la captivité militaire est adoptée en 1899 pendant la première conférence du Paix à La Haye. Après la Première Guerre mondiale, on a abouti à la nécessité de définir en 1929 la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre[2]. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie, en violant les conventions internationales, a soumis les détenus à la torture et l’assassiner en masse. Avec le déclenchement de la guerre, des milliers de citoyens soviétiques ont é capturés par les nazis. Après les opérations militaires, la plupart d’entre eux sont morts, un petit parti a réussi à joindre les siens, une partie est entrée dans les rangs des partisans et une partie à cause en raison de blessures, maladies, manque de nourriture est devenue prisonnier de guerre.
Début de l’année 2008, j’ai organisé un séjour à Paris afin de faire une mission de terrain. Finalement, le 25 mai avec l’invitation dAlain Devilliers, fils dun ancien prisonnier de la Seconde Guerre mondiale, j’ai pu rencontrer Gedir Suleyman dans son appartement près du Bois de Boulogne avec deux autres personnes de la communauté azerbaïdjanaise âgées de 1980 et 1990 ans. Nous avons profité de ce jour pour organiser avec les autres étudiants le 90e anniversaire de Gedir Suleyman.

             
Gedir Suleyman dans son appartement de Paris. Photo darchives de Vazeh Asgarov

Il est sous le nom de Suleyman Gedirov le 10 octobre 1917 dans le village de Zar de la gion dAbovyan, près dErivan (Arménie). Alors quil était âgé de six mois seulement, sa mère est morte. Son père se remarie et eu encore 8 enfants (4 garçons, 4 filles), mais Gedir reste l’enfant dun seul couple. Sa belle-mère ne distingue pas Gedir de ses enfants. Après des études en école technique, il devient professeur de chimie. Dès le premier jour de la Seconde Guerre mondiale et avec l’invasion anglo-soviétique de l'Iran, Suleyman est mobilisé. À 23 ans, sa vie change complètement. Dabord il se trouve en Iran, à Astara sur la frontière de lAzerbaïdjan, puis à Bakou, Makhatchkala, Novorossiysk, Anapa, Kertch, et en Crimée. Il rejoint l’armée de la 44e division soviétique. À Odessa, il est blessé et en mai 1942, avec loccupation de la Crimée par les Allemands il est capturé. Sa connaissance de la langue allemande laida pendant l’emprisonnement. Le principe stalinien de garde la dernière balle pour toi-même selon le prikaze 120, loblige à rester en Europe et il arrive en 1945 en Alsace. Il était préférable de se suicider, mais ne pas se rendre aux Russes souligne Gedir Suleyman lors de notre conversation. La première chose quil apprend est de ne pas dire qu’il est loriginaire de lune des républiques soviétiques. Par contre, il souligne aussi que les Américains étaient plus intéressés par les migrants russes. Bientôt, se trouvant à Paris et avec le conseil d’Alekber bey Toptchibachi, il inverse son nom et prénom et en se présentant dorigine turque, devenant Gedir Suleyman.
La Deuxième Guerre mondiale, avec plus de 50 millions de morts dans le monde entier, est marquée par l'horreur et la souffrance. Malheureusement, pour les prisonniers de guerre a débuté une autre période difficile, car le gouvernement soviétique était intéressé par le retour sans exception des personnes déplacées. Pendant la conférence de Yalta du 4 au 11 février 1945, entre lUnion soviétique (Joseph Staline), le Royaume-Uni (Winston Churchill) et les États-Unis (Franklin D. Roosevelt), est déci le rapatriement obligatoire des personnes déplacéeet des prisonniers de guerre. Gedir Souleyman comme les autres anciens prisonniers de guerre est obligé de se protéger en changeant souvent de lieu de résidence et de travail (Tolstoï, 1980).

Gedir Suleyman avec Vazeh Asgarov – jeux de y
            
                                         Photo darchives de Vazeh Asgarov
Aujourdhui, la communauté azerbaïdjanaise lappelle Gedir emi (oncle Gedir). Le but de choisir un nom turc était de s’installer un jour en Turquie pour dêtre proche à son pays. Par contre, la politique de la Turquie de cette période, ne pas sacrifier un million de Turcs pour quelques Azéries[3] ne permet pas de réaliser cette idée. Cependant, il ne décide pas de quitter Paris, pourtant, pour sa sécurité, il sinstalle à l’extérieur de la capitale. À cette époque, il ny avait pas une obligation dexpulser les étrangers et Gedir emi fait une demande à lAlliance Française pour continuer ses études. Pour la régularisation de son séjour en France, il paraissait intéressant de sinscrire à la Légion étrangère. Mais il ne le décide pas. La situation change plus tard dans les années 1950, quand Winston Churchill appel tous les pays alliés à reconnaître les prisonniers de guerre en tant que réfug politique. La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugaccordait le statut de réfugaux personnes qui en faisaient la demande.

           Gedir Suleyman avec la communauté azerbaïdjanaise dans son appartement en 2008
 Photo darchives de Vazeh Asgarov
Après la guerre, Gedir emi, grâce à ses connaissances du métier, trouve un travail dans un laboratoire de chimie et à son ami français. Il exerce plusieurs emplois avant de trouver un emploi près de Bois du Boulogne dans un restaurant d’un compatriote issu de la première émigration. À cette époque, il y avait beaucoup de russophones à Paris de la première et la seconde immigration. Il existait des théâtres, gymnases, magasins et restaurants russes. On comptait une quinzaine d’azerbaïdjanais soviétiques à Paris, se souvient Gedir lors de notre conversation. C’est ici qu’en 1950, Gedir Suleyman rencontre sa future femme Rssa Vasilevna dorigine russe. En 1952, leur fils unique Boris est né. Mais jusqu’à l’âge de 4 ans Boris et sa maman sont obligés de résider sans Gedir en Allemagne où Rssa avait trouvé refuge après la guerre. En 1956, Gedir emi obtient la nationalité française et ramène sa femme et son fils Boris en France.
Avec la nationali française, Gedir Suleyman essaie de trouver ses proches et aussi tente de partir à Bakou. Pour cela, il fait deux fois la demande à l’ambassade soviétique où il reçoit deux fois une réponse négative. En 1972 étaient organisés les concerts des artistes soviétiques dans le cadre de la culture de lUnion soviétique à Paris. Parmi eux se trouvait aussi le neveu de Djeyhoun et Uzeir Hadjibeyli, le chef d’orchestre connu comme Maestro Niyazi. Il s’intéresse à faire la connaissance avec les émigrés azerbaïdjanais de France et à chercher ses cousins. Ainsi que se souvient Gedir emi cette rencontre : la première fois quand jai vu sa carte du député jai perdu la parole[4]. Plus tard, Niyazi l’aidera à réaliser sa première visite en Azerbaïdjan qui semblait presque impossible pour certains en ce temps-là. Il souligne dans le journal Bakou que : après 33 ans, je me suis trouvé de nouveau à Bakou. À mon départ, mes frères étaient tout petits, mais à mon retour ce sont des hommes âgés qui mont accueilli (Journal Bak, 2009 Кадыр Сулейман, p.90-91). Ensuite, il réalise encore quelques voyages en Azerbaïdjan. Il effectue le dernier en 2001 pour participer au Ier Congrès des Azerbaïdjanais du monde. Dans son interview au journal Bakı, il dit quil a récemment hébergé deux étudiantes ukrainiennes. Apparemment, il noubliera jamais comment les femmes ukrainiennes malgré tous les dangers le nourrissaient quand ils avaient transipar lUkraine.
À la fin de notre conversation à ma question : est-ce que vous êtes satisfait de votre destin ? Gedir Suleyman réfléchit quelques instants et il a répondu ainsi : les traditions de la famille en France ne sont pas pareilles à celles de lAzerbaïdjan. Lhomme n’est jamais content de sa vie. Par contre, je suis chanceux davoir é sain et sauf pendant la guerre et davoir à me contrôler moi-même.
Aujourdhui, Gedir emi a 94 ans et vit seul dans son appartement proche du Bois de Boulogne et joue deux fois par semaine à la pétanque. Son fils Boris, avec sa femme et ses trois fils Alexandre, Volodya et Alechka vit à Paris. Comme Gedir emi souligne, les enfants grandissent et partent maintenant vers leur vie française[5].



[1] Interview personnelle avec Gedir Suleyman le 25 mai 2008.
[2] L’URSS ne signa pas la Convention de 1929 sur les prisonniers.
  [3] Gedir Suleyman interview personnelle le 25 mai 2008
  [4]  Idem
  [5] Idem



Vazeh ASGAROV  2014L'immigration des Azerbaïdjanais L'immigration générale des Azerbaïdjanais, histoire et perspectives: le cas de la France" PAF


https://www.ljubljuknigi.ru/store/gb/book/l-immigration-des-azerba%C3%AFdjanais/isbn/978-3-8416-2222-8