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mercredi 9 janvier 2013


Irène Mélikoff 

L'Azerbaïdjan soviétique était pour nous un sommet intouchable 1
 
Source : www.turcologie.u-strasb.fr

    Dans  l’histoire de l’immigration, on rencontre souvent des personnes nées après la migration  de  leurs  parents.  On  les  nomme  enfants  d'immigrés  qui  bénéficient  de  deux cultures :  celle  de  leurs  parents  et  celle  de  leur  lieu  de  résidence.  Ils  ne  sont  pas  considérés comme immigrés parce qu’ils n’ont franchi aucune frontière d’une part et d’autre part ils ont la nationalité de pays de résidence.   
    Un  destin  comparable  caractérise  Irène  Mélikoff,  une  éminente  scientifique turcologue,  grande  spécialiste  des  cultures  de l'Orient,  spécialiste de renommée  mondiale  de l'Islam hétérodoxe turc. Née le 7 novembre 1917 (25 octobre selon l’ancien calendrier russe) à Petrograd  (actuelle  Saint-Pétersbourg)  après  la  révolution  Octobre2,  elle  sera  obligée  de quitter la Russie avec sa famille pour s’installer d’abord en Finlande et deux ans après à Paris. Son père Iskender Mélikov (1876-1948) est un riche homme d’affaires de Bakou associé avec les frères Nobel. Au début du XXème, étant toujours en déplacement entre Saint-Pétersbourg et sa ville natale, il rencontre et épouse la belle ballerine russe Eugénie Mokchanoff. En 1922 est né le frère d’Irène, André Mélikoff, qui deviendra ingénieur et s’installera au Canada. La petite  Irène  dès  son  enfance  partage  trois  cultures  et  parla  trois  langues :  le  russe  avec  sa maman, l’anglais avec sa gouvernante et le français, langue de sa patrie d’adoption. Son père étant  diplômé  de  l’Université  Suisse  connaissait  encore  quelques  langues  étrangères  et préférait  parler  azerbaïdjanais  avec  sa  fille.  Cela  s’explique  pour  ses  sentiments  liés  à  sa patrie. Après le lycée, elle s’intéresse à l’histoire de l’Islam et pour être proche à sa culture paternelle commence à apprendre le turc. À cette période, elle découvre dans la bibliothèque de  son  père  le  Divan  de Hafiz, les œuvres de Sa'di  et  les  quatrains  d'Omar  Khayyâm  qui influencent  ses  études  supérieures.  Vers  la  fin  des  années  1930,  elle  continue  ses  études  à l’Ecole Nationale des Langues Orientales à Paris. Avec  le  commencement  de  la  Deuxième Guerre mondiale, elle interrompe ses études, se marie (1940) avec Faruk Sayar et s’installe (1941) en Turquie3. À Ankara, elle enseigne au Collège American d’Izmir et met au monde ses trois filles Belkis Sonia, Laden et Shirin Laure.  
      Après  sept  années  de  la  vie  maritale  en  1948,  Mme Mélikoff  avec  ses  deux  filles rejoigne Paris et se prépare à accoucher de sa troisième fille. Son mari ne retourne plus après 1948 en France et se marie encore deux fois. Grâce à sa mère qui prend en charge l’éducation de ses enfants, elle reprend ses études à l’université. D’abord elle prépare un  diplôme  de persan, un diplôme de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, une licence ès lettres et, enfin, en 1957, elle soutient son doctorat ès lettres à la Sorbonne. Encore étudiante à l’université, elle s’engage dès 1951 en tant que chercheuse au CNRS. En 1954 parut son premier livre  Le Destan d’Umur Pacha.  Son  deuxième  livre  en  deux  volumes, intitulé  La  Geste  de  Melik Danishmend, parait en 1960 et lui valait le titre de Docteur-Es-Lettres. En 1963, elle devient directrice  de  recherche  au  CNRS.  En  1968,  elle  est  invitée  à  l’Université  des  Science Humaines  de  Strasbourg  et  devient  directrice  des  Instituts  d’Etudes  Turques  et  Etudes Persanes4. En 1969, professeure titulaire de l’Université de Strasbourg, Mme Mélikoff fonde avec  Georges  Livet  la  revue  Turcica5.  Ses  recherches  l’ont  orientée  vers  l’Anatolie,  les Balkans,  l’Azerbaïdjan,  l’Iran  et  l’Asie  Mineure.  Plus  de  70  articles  rédigés  par  Irène Mélikoff  ont  été  publiés  dans  l’Encyclopédie  de  l’Islam.  Se  sentant  très  proche  de  la sensibilité,  du  rite  et  des  croyances  des  Alévi-Bektachis,  Irène  Mélikoff,  consacre  encore quelques  œuvres  précieuses  à  l’alévisme :  Abu  Muslim,  le  « Porte-Hache  »  du  Khorasan (1966),  Sur  les  traces  du  soufisme  turc  (1992),  Hadji  Bektâchî  :  un  mythe  et  ses  avatars (1998),  Au banquet des Quarante. Exploration au cœur  du  bektachisme  et de l’alévisme (2001).  À  ce  propos  elle  disait :  J’ai posé les premières pierres de l’étude du mouvement alévi-bektâchî. Maintenant il faut que vous continuiez ce travail, sinon il sera perdu6
      Poursuivant  les  travaux  scientifiques,  conférences,  colloques et  congrès, Mme Mélikoff  organisait  parallèlement  en  1984,  le premier  colloque  Franco-Azerbaïdjanais de  Strasbourg.  En même  temps,  elle  fait  publier  des  articles  de  Sara  Achurbeyli,  Oqtay Efendiyev,  Ezizağa  Memmedov  dans  Turcica  et  organise  les  séjours  de  musiciens azerbaïdjanais en France. Elle est aussi l’auteure d’une recherche sur la créativité de Khataï, des  travaux  de  M. F. Akhoundov, le mouvement de Babek, de l’histoire de la dynastie des Safavides  ainsi  que  d’un  certain  nombre  de  monographies.  Elle  était également  l’une  des membres  actifs  de  la Maison d’Azerbaïdjan en France  fondée  à  Paris par  Cheyhoun  bey Hadjibeyli. La Maison d’Azerbaïdjan (2005) de Strasbourg aussi était créée par son initiative.                                    
     Irène  Mélikoff  est  inhumée  selon  le  rite  orthodoxe  au  cimetière  russe  de  Sainte-Geneviève-des-Bois, près de Paris, où reposent ses parents et de nombreux réfugiés de 1917. La fille aînée de Mme Mélikoff, Belkis Sonia Philonenko a été professeur en Littérature russe de l’Université de Strasbourg et directrice du Département d’Etudes Slaves. Sa dernière fille Shirin Melikoff est traductrice à l’Académie Diplomatique Internationale. Elle a été mariée avec l’une des figures importantes du mouvement alévi, Kasim Yeşilgül. 
       J'ai eu l'occasion de rencontrer quelquefois Mme Mélikoff. Notre première rencontre a eu lieu dans son appartement de Strasbourg au mois de mars 2008. La deuxième rencontre a été réalisée au mois de mars de la même année cette fois-ci avec Shirin Mélikoff  qui connaît bien la communauté azerbaïdjanaise de Paris. Tout de suite j'ai senti que Mme Mélikoff était heureuse de voir la présence des étudiants azerbaïdjanais en France, presque impossible il y a quelques années. Notre conversation n'a duré qu'une vingtaine de minutes à cause de sa santé et les idées étaient vagues. Elle effectue sa première visite en Azerbaïdjan avec sa fille Shirin. Arrivant devant la bibliothèque Mirze Elekber Sabir de Bakou, elle s'arrête et ne pourra plus bouger jusqu'à ce qu'une personne de la foule qui l'attendait avec impatience sortie en disant en russe, mais pourquoi vous n’osez pas entrer, ce bâtiment appartiennent à votre famille! À ce  moment,  Mme Mélikoff  sentira  une  grande souffrance morale  tandis  que sa  fille  Shirin était déjà entrée dans le bâtiment. Notre deuxième entretien a eu lieu quelques semaines plus tard  toujours  dans  le  même  appartement  avec  Shirin Mélikoff. Elle  partage  non  seulement l'histoire  de  sa  famille,  mais aussi donna  de  précieuses  informations sur l'immigration azerbaïdjanaise. Au  mois  de  décembre  2008, c'est  à  la  Maison  d'Azerbaïdjan  de Strasbourg qu’est organisé le 90eanniversaire d'Irène Mélikoff.   

Irène Mélikoff a été honorée pour ses recherches et travaux par des prix et distinctions suivants: 
- Légion d’Honneur du Ministère d’Education de l’Iran (1973) 
- Diplôme d’Honneur du Ministère d’Etat de Turquie (1973), 
- Chevalier de l'Ordre des Palmes Académiques (1978) 
- Officier de l'Ordre des Palmes Académiques (1983), 
- Médaille d’Honneur de la Société d’Histoire Turque (1982), 
- Légion d’Honneur de la Commémoration de Mevlana (1982), 
- Légion d’Honneur de l’Université de Strasbourg (1992), 
- Chevalier de l'Ordre du Mérite (1994) 
- Doctorat Honoris Causa de l’Université de Bakou (1996) 
- Membre d’honneur de Azerbaijan Democratic Union of Intelligentsia (1990) 
- Doctorat Honoris Causa de l’Université de Konya 
- Prix spécial du festival international « Cinéma et Histoire », Istanbul (2007)

1.Interview  de  Fazil  Rehmanzade  avec  Irène  Mélikoff  Ayrıliq kədəri yaman olurmuş  (La  douleur  de  la séparation est affreuse) in : Azərbaycan müəllimi, 1988 novembre, Bakou, Kommunist. 
2.Dans  mon  premier  entretien  avec  Mme Mélikoff,  elle  se  plaisait  à  comparer  son  âge  avec  la  Révolution d’Octobre.
3.Faruk Sayar est le fils de Salih Zeka Sayar un mathématicien célèbre de Turquie. 
4.Le département d’Etudes Turques a été crée en 1962 par Professeur René Giraud, spécialiste des inscriptions de l'Orkhon en Mongolie. 
5.Turcica  est  une  revue  publiée  depuis  1969.  Elle  réunie  des  articles  des  savants  des  différents  pays  les  plus compétents et les plus novateurs, des spécialistes de la Turquie et des peuples turcs. Sous la direction d’Irène Mélikoff, Turcica publia vingt numéros et devint l’une des revues les plus importantes du domaine turcologique. 
6.Belkis-Sonia Philonenko Hommage à Irène Mélikoff, Strasbourg le 10 janvier 2009 


VAZEH 09/01/2013

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