De l’émergence à l'évanescence : répression, migration et transformation de l’identité en Azerbaïdjan sous l’occupation soviétique
Dr. Vazeh ASGAROV
Doctor de l’Université de Strasbourg
Vice-Recteur de l’Université d’État du Pétrole et de l’Industrie de Azerbaïdjan
(ASOIU)
Email : vazeh.askarov@asoiu.edu.az
Mots
clés: émigration, identité nationale, politique de russification, l’Azerbaïdjan soviétique, résistance culturelle
Résumé
Cet article
analyse l’impact de l’occupation soviétique sur l’identité nationale
azerbaïdjanaise, en examinant les processus de répression, de migration forcée
et de transformation culturelle. La politique de russification, l’élimination
des élites, ainsi que la modification des noms et pratiques culturelles ont
contribué à une perte partielle de l’identité, tout en suscitant une résistance
culturelle significative. La résilience du peuple azerbaïdjanais, notamment
après l’indépendance en 1991, souligne la persistance d’un esprit national.
L’étude propose une compréhension nuancée de la mutation identitaire en
contexte soviétique.
Introduction
L’histoire
contemporaine de l’Azerbaïdjan est profondément marquée par la période
soviétique, caractérisée par des transformations radicales de l’identité
nationale. Depuis l’implantation du régime bolchévique en 1920, le peuple
azerbaïdjanais a subi des répressions, des migrations forcées, et une
homogénéisation culturelle dominée par la politique de russification.
Ce contexte
complexe soulève la question de la capacité de la société à résister et à
préserver ses spécificités culturelles face à ces opérations d’assimilation. Ces politiques de russification et d’assimilation ont eu des effets
durables, façonnant non seulement la société, mais aussi la perception même de
l’identité nationale en Azerbaïdjan. À travers cette étude, il s’agit
d’explorer comment la répression, la migration forcée et la mutation culturelle
ont contribué à l’émergence et à la perdition de l’identité azerbaïdjanaise,
tout en mettant en lumière la résistance culturelle portée par le peuple face à
l’adversité.
1. Contexte
historique et politique de l’occupation soviétique
L'occupation soviétique de l'Azerbaïdjan
en 1920 a engendré une période tragique marquée par l'émigration, la répression
et une transformation profonde de l'identité nationale. Fuyant la terreur et la
persécution, de nombreux Azerbaïdjanais ont cherché refuge à l'étranger, alors
que ceux restés sur place ont lutté contre un régime oppressif qui visait à
éradiquer toute forme de dissidence. Ces événements, bien qu'empreints de
douleur et de perte, font partie d'un héritage résilient, témoignant de la
détermination du peuple azerbaïdjanais à préserver sa culture et son identité
face à l'adversité. L'histoire de cette époque continue d'inspirer les
générations contemporaines dans leur quête de liberté et de reconnaissance.
L’invasion soviétique a causé la
chute de l’Azerbaïdjan démocratique, premier de l’Orient musulman. Avec l’occupation
russe le 27 avril 1920, commence une nouvelle branche de l’émigration définie
par des chercheurs comme l’émigration des élites. Les intellectuels avec
l’esprit de la liberté devenaient les premières victimes de cet acte. Par exemple,
la première déportation massive internationale forcée dans l’histoire
soviétique a été organisée en 1922.
Après l’installation du pouvoir
bolchévique en Azerbaïdjan, furent préparées les listes des ennemis de
soviets sous la responsabilité de Ponkratov. Les directives juridiques qui
toutefois répondaient à une unique politique avaient pour objectif
l’élimination des mauvais éléments de la société (Bünyadov, 1993).
Bientôt Lénine sur la proposition de Trotski ordonna de créer des colonies pour
les prisonniers. Des milliers d’ennemis de la révolution, des aristocrates,
des personnes éminentes, des intellectuels ayant fait leurs études en Europe et
aussi des anciens communistes participant activement à la construction du
pouvoir soviétique, mais aussi des membres de différents partis politiques
devenaient ainsi les premiers habitants de ces colonies.
2. Migration
forcée et exode des élites
Les arrestations se faisaient en
masse en Azerbaïdjan. Par exemple, des centaines de membres du parti Moussavat
accusés de résistance au pouvoir soviétique furent condamnés à mort. Dix généraux
azerbaïdjanais furent fusillés sans jugement. Grâce à N. Narimanov, les
généraux A. Shikhlinski et S. Mehmandarov ont échappé à cet acte atroce.
Il existe encore aujourd’hui des opinions publiques qui croient que la déportation
des peuples soviétiques a débuté dans les années trente. Mais en réalité, les
événements ont commencé durant les premiers mois et les années du conseil
d'administration des bolcheviks, pendant la période de la guerre civile en
Russie. De plus, la politique de déportation de l’Union Soviétique
avait une préhistoire très solide commencée sous le tsar Pierre le Grand.
Dès le début de la soviétisation jusqu’à la mort de Staline, l’Azerbaïdjan a
connu quelques périodes de répressions. La première période a commencé au début
des années vingt et concernait les paysans, les politiciens, les religieux et
les propriétaires. La deuxième période touchait plutôt les nationalistes, les
moussavatistes et les dirigeants des idées panturquistes. Elle a débuté juste
après l’installation du pouvoir soviétique en Azerbaïdjan et étant
plus longue, a continué jusqu’aux années trente. La troisième période est entrée
dans l’histoire sous les noms de Purge, Grandes Terreurs ou
Terreur rouge stalinienne.
Faisant la connaissance avec
l’histoire soviétique on voit que les Bolchéviks, dès leur installation au
pouvoir, organisaient l’élimination des personnes créant le moindre de doute.
Mais la vraie tragédie de cette époque débutera en 1936 et prendra une forme
assez violente dans les années 1937-1939. D’après Z. Bunyadov (1993), seulement
en deux ans et demi, entre 70 000 et 80 000 Azerbaïdjanais de renoms (savants,
écrivains, professeurs, militaires, religieux, etc.) sont massacrés, portés
disparus et exilés. La « machine de la condamnation » à mort tournait sans
arrêt et sans pause et durait maximum 15 à 20 minutes.
3. La résistance et la reconstruction
de l’identité nationale
Ayant peur de la répression, les
suffixes -khan ou -bey sont supprimés des noms et prénoms. Les
nouveaux nés portent plus les noms des personnalités historiques, mais par fois
mêmes les noms absurdes avec la politique de la collectivisation comme Tractor
(le Tracteur), Inqilab (la Révolution), Sovet (Conseil), Octyabr
(Octobre, à l’occasion de la révolution d’Octobre), Marlen (combinaison
des prénoms Marks et Lénine). En conséquence, le pouvoir soviétique
modifie forcement les noms azerbaïdjanais et chez la
plupart des familles les suffixes des noms sont remplacés par -ov et -ev.
Avec la proclamation de l’indépendance en Azerbaïdjan en 1991, les noms
traditionnels azerbaïdjanais commencent à reprendre leur place, les suffixes -li,
-zade -oğlu signifiant l’origine géographique, l’appartenance à
l’aristocratie et la parenté (V. Asgarov, 2022, 131)
Actuellement en Azerbaïdjan, la
réduction des fins des noms est devenue plus répandue et facile au niveau du
changement de la documentation. Ce phénomène est seulement l’un des exemples de
l’imposition de la politique de l’Empire russe (soviétique) avec le but «
d’acculturer » des peuples « manquant » de culture. Le même cas existe dans les
autres pays turcophones comme au Kazakhstan, en Ouzbékistan ou au Turkménistan.
Par exemple, en Ouzbékistan, même aujourd’hui, les suffixes des noms russes sont
conservés. Chez les Tatars de Crimée, il est ressenti le mouvement pour la cessation
de l’utilisation des suffixes russes dans les noms. Ils préfèrent être appelés
non Ümerov, Veliyev, mais simplement Ümer, Veli. Dans les
pays baltes, le pouvoir letton jugea que dans un « État indépendant » le peuple
ne peut pas garder les noms russes. En Lettonie, la plupart des noms avec les
suffixes russes -ov, -ev se sont ajouté une lettre -s et pour
cela il fallait absolument « déculturer » la population en rendant à chaque nom
une lettre s.
Conclusion
En définitive,
l’occupation soviétique a laissé une empreinte indélébile sur l’histoire de
l’Azerbaïdjan, façonnant ses contours démographiques, culturels et
identitaires. Entre répression implacable, migrations massives et politiques
d’assimilation visant à effacer la spécificité nationale, le peuple
azerbaïdjanais a traversé une période de grande douleur et de transformation
profonde. Pourtant, malgré ces tentatives d’extinction, l’esprit de résistance
et de préservation culturelle n’a jamais disparu, permettant à l’identité
nationale de renaître progressivement avec l’indépendance en 1991. Ce parcours,
marqué par la perte mais aussi par la résilience, témoigne de la capacité de
tout peuple à défendre ses racines face aux pressions de l’histoire et des
régimes oppressifs. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan continue d’écrire sa propre
histoire, renouant avec ses traditions et affirmant son identité souveraine
dans un contexte de reconstruction et de renaissance nationale.
Bibliographie
1. Constant Antoine
(2002) L'Azerbaïdjan, Karthala (Méridiens), Paris.
2. Arzumanlı Vaqif, Mustafa Nazim (1998), Tarixin qara səhifələri,
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Qaçqınlıq, Bakı,
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4. Bünyadov Ziya (1993), Qırmızı terror (Terreur rouge), Bakı, Azərnəşr.
7.Asgarov Vazeh
(2014) L’immigration des Azerbaïdjanais, L'immigration
générale des Azerbaïdjanais, histoire et perspectives : le cas de la France, Allemagne, PAF, p.425.
8. Asgarov Vazeh
(2022) L'immigration des Azerbaïdjanais
en France, Edition Kapaz, Strasbourg, France, ISBN:
978-2-492157-03-5, p.341.
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