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jeudi 15 mai 2025

 

De l’émergence à l'évanescence : répression, migration et transformation de l’identité en Azerbaïdjan sous l’occupation soviétique


Dr. Vazeh ASGAROV

Doctor de l’Université de Strasbourg
Vice-Recteur de l’Université d’État du Pétrole et de l’Industrie de Azerbaïdjan (ASOIU)
Email : 
vazeh.askarov@asoiu.edu.az


Mots clés: émigration, identité nationale, politique de russification, l’Azerbaïdjan soviétique, résistance culturelle

Résumé

Cet article analyse l’impact de l’occupation soviétique sur l’identité nationale azerbaïdjanaise, en examinant les processus de répression, de migration forcée et de transformation culturelle. La politique de russification, l’élimination des élites, ainsi que la modification des noms et pratiques culturelles ont contribué à une perte partielle de l’identité, tout en suscitant une résistance culturelle significative. La résilience du peuple azerbaïdjanais, notamment après l’indépendance en 1991, souligne la persistance d’un esprit national. L’étude propose une compréhension nuancée de la mutation identitaire en contexte soviétique.

Introduction

L’histoire contemporaine de l’Azerbaïdjan est profondément marquée par la période soviétique, caractérisée par des transformations radicales de l’identité nationale. Depuis l’implantation du régime bolchévique en 1920, le peuple azerbaïdjanais a subi des répressions, des migrations forcées, et une homogénéisation culturelle dominée par la politique de russification.

Ce contexte complexe soulève la question de la capacité de la société à résister et à préserver ses spécificités culturelles face à ces opérations d’assimilation. Ces politiques de russification et d’assimilation ont eu des effets durables, façonnant non seulement la société, mais aussi la perception même de l’identité nationale en Azerbaïdjan. À travers cette étude, il s’agit d’explorer comment la répression, la migration forcée et la mutation culturelle ont contribué à l’émergence et à la perdition de l’identité azerbaïdjanaise, tout en mettant en lumière la résistance culturelle portée par le peuple face à l’adversité.

1. Contexte historique et politique de l’occupation soviétique

L'occupation soviétique de l'Azerbaïdjan en 1920 a engendré une période tragique marquée par l'émigration, la répression et une transformation profonde de l'identité nationale. Fuyant la terreur et la persécution, de nombreux Azerbaïdjanais ont cherché refuge à l'étranger, alors que ceux restés sur place ont lutté contre un régime oppressif qui visait à éradiquer toute forme de dissidence. Ces événements, bien qu'empreints de douleur et de perte, font partie d'un héritage résilient, témoignant de la détermination du peuple azerbaïdjanais à préserver sa culture et son identité face à l'adversité. L'histoire de cette époque continue d'inspirer les générations contemporaines dans leur quête de liberté et de reconnaissance.

L’invasion soviétique a causé la chute de l’Azerbaïdjan démocratique, premier de l’Orient musulman. Avec l’occupation russe le 27 avril 1920, commence une nouvelle branche de l’émigration définie par des chercheurs comme l’émigration des élites. Les intellectuels avec l’esprit de la liberté devenaient les premières victimes de cet acte. Par exemple, la première déportation massive internationale forcée dans l’histoire soviétique a été organisée en 1922.

Après l’installation du pouvoir bolchévique en Azerbaïdjan, furent préparées les listes des ennemis de soviets sous la responsabilité de Ponkratov. Les directives juridiques qui toutefois répondaient à une unique politique avaient pour objectif l’élimination des mauvais éléments de la société (Bünyadov, 1993). Bientôt Lénine sur la proposition de Trotski ordonna de créer des colonies pour les prisonniers. Des milliers d’ennemis de la révolution, des aristocrates, des personnes éminentes, des intellectuels ayant fait leurs études en Europe et aussi des anciens communistes participant activement à la construction du pouvoir soviétique, mais aussi des membres de différents partis politiques devenaient ainsi les premiers habitants de ces colonies.

 

2. Migration forcée et exode des élites

Les arrestations se faisaient en masse en Azerbaïdjan. Par exemple, des centaines de membres du parti Moussavat accusés de résistance au pouvoir soviétique furent condamnés à mort. Dix généraux azerbaïdjanais furent fusillés sans jugement. Grâce à N. Narimanov, les généraux A. Shikhlinski et S. Mehmandarov ont échappé à cet acte atroce.

Il existe encore aujourdhui des opinions publiques qui croient que la déportation des peuples soviétiques a débuté dans les années trente. Mais en réalité, les événements ont commencé durant les premiers mois et les années du conseil d'administration des bolcheviks, pendant la période de la guerre civile en Russie. De plus, la politique de déportation de lUnion Soviétique avait une préhistoire très solide commencée sous le tsar Pierre le Grand.

Dès le début de la soviétisation jusqu’à la mort de Staline, lAzerbaïdjan a connu quelques périodes de répressions. La première période a commencé au début des années vingt et concernait les paysans, les politiciens, les religieux et les propriétaires. La deuxième période touchait plutôt les nationalistes, les moussavatistes et les dirigeants des idées panturquistes. Elle a débuté juste après l’installation du pouvoir soviétique en Azerbaïdjan et étant plus longue, a continué jusqu’aux années trente. La troisième période est entrée dans lhistoire sous les noms de Purge, Grandes Terreurs ou Terreur rouge stalinienne.

Faisant la connaissance avec l’histoire soviétique on voit que les Bolchéviks, dès leur installation au pouvoir, organisaient l’élimination des personnes créant le moindre de doute. Mais la vraie tragédie de cette époque débutera en 1936 et prendra une forme assez violente dans les années 1937-1939. D’après Z. Bunyadov (1993), seulement en deux ans et demi, entre 70 000 et 80 000 Azerbaïdjanais de renoms (savants, écrivains, professeurs, militaires, religieux, etc.) sont massacrés, portés disparus et exilés. La « machine de la condamnation » à mort tournait sans arrêt et sans pause et durait maximum 15 à 20 minutes.

 

3. La résistance et la reconstruction de l’identité nationale

     Les Azerbaïdjanais, étant des musulmans et ethniquement proches des Turcs, sont considérés comme une menace potentielle du pouvoir soviétique dans le Caucase du sud. Par exemple, si les Géorgiens et les Arméniens sont autorisés à garder leurs alphabets, chez les Azerbaïdjanais il était changé deux fois – d’abord l’alphabet arabe est remplacé par l’alphabet latin, et ensuite, quand le pouvoir kémaliste en Turquie passe à l’alphabet latin, en Azerbaïdjan on le fait remplacé par l’alphabet cyrillique. Les mêmes discriminations et les différentiations peuvent être notées dans les noms de famille des pays Caucasiens. Si les Géorgiens et les Arméniens gardent le suffixe de leurs patronymes durant l’époque soviétique, pour le peuple azerbaïdjanais cela n’est pas le cas. Le plus souvent, les noms arméniens se terminent par -ian ou -yan, ce qui signifie “fils de”. Plusieurs noms chez les Géorgiens se terminent par le suffixe -dze signifiant “le fils”, chvili signifiant l’enfant, ou bien -ouri, -ouli, -ani. Avec l’arrivée du pouvoir soviétique en Azerbaïdjan, les noms commencent à se changer avec plus d’exigence (V.Asgarov, 2014, 163).

Ayant peur de la répression, les suffixes -khan ou -bey sont supprimés des noms et prénoms. Les nouveaux nés portent plus les noms des personnalités historiques, mais par fois mêmes les noms absurdes avec la politique de la collectivisation comme Tractor (le Tracteur), Inqilab (la Révolution), Sovet (Conseil), Octyabr (Octobre, à l’occasion de la révolution d’Octobre), Marlen (combinaison des prénoms Marks et Lénine). En conséquence, le pouvoir soviétique

modifie forcement les noms azerbaïdjanais et chez la plupart des familles les suffixes des noms sont remplacés par -ov et -ev. Avec la proclamation de l’indépendance en Azerbaïdjan en 1991, les noms traditionnels azerbaïdjanais commencent à reprendre leur place, les suffixes -li, -zade -oğlu signifiant l’origine géographique, l’appartenance à l’aristocratie et la parenté (V. Asgarov, 2022, 131)

Actuellement en Azerbaïdjan, la réduction des fins des noms est devenue plus répandue et facile au niveau du changement de la documentation. Ce phénomène est seulement l’un des exemples de l’imposition de la politique de l’Empire russe (soviétique) avec le but « d’acculturer » des peuples « manquant » de culture. Le même cas existe dans les autres pays turcophones comme au Kazakhstan, en Ouzbékistan ou au Turkménistan. Par exemple, en Ouzbékistan, même aujourd’hui, les suffixes des noms russes sont conservés. Chez les Tatars de Crimée, il est ressenti le mouvement pour la cessation de l’utilisation des suffixes russes dans les noms. Ils préfèrent être appelés non Ümerov, Veliyev, mais simplement Ümer, Veli. Dans les pays baltes, le pouvoir letton jugea que dans un « État indépendant » le peuple ne peut pas garder les noms russes. En Lettonie, la plupart des noms avec les suffixes russes -ov, -ev se sont ajouté une lettre -s et pour cela il fallait absolument « déculturer » la population en rendant à chaque nom une lettre s.

 

 

Conclusion 

En définitive, l’occupation soviétique a laissé une empreinte indélébile sur l’histoire de l’Azerbaïdjan, façonnant ses contours démographiques, culturels et identitaires. Entre répression implacable, migrations massives et politiques d’assimilation visant à effacer la spécificité nationale, le peuple azerbaïdjanais a traversé une période de grande douleur et de transformation profonde. Pourtant, malgré ces tentatives d’extinction, l’esprit de résistance et de préservation culturelle n’a jamais disparu, permettant à l’identité nationale de renaître progressivement avec l’indépendance en 1991. Ce parcours, marqué par la perte mais aussi par la résilience, témoigne de la capacité de tout peuple à défendre ses racines face aux pressions de l’histoire et des régimes oppressifs. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan continue d’écrire sa propre histoire, renouant avec ses traditions et affirmant son identité souveraine dans un contexte de reconstruction et de renaissance nationale.

 

Bibliographie 

1. Constant Antoine (2002) L'Azerbaïdjan, Karthala (Méridiens), Paris.

2. Arzumanlı Vaqif, Mustafa Nazim (1998)Tarixin qara səhifələri, Deportasiya. Soyqırım. Qaçqınlıq, Bakı, Qartal.

3.   Arzumanliı Vaqif (2001) Azerbaycan Diasporu, Bakı, Qartal.

4. Bünyadov Ziya (1993), Qırmızı terror (Terreur rouge), Bakı, Azərnəşr.

7.Asgarov Vazeh (2014) L’immigration des Azerbaïdjanais, L'immigration générale des Azerbaïdjanais, histoire et perspectives : le cas de la France, Allemagne, PAF, p.425.

8. Asgarov Vazeh (2022) L'immigration des Azerbaïdjanais en France, Edition Kapaz, Strasbourg, France, ISBN: 978-2-492157-03-5, p.341.

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