L'Occupation soviétique et ses conséquences : l'éxil et la répression des élites Azerbaïdjanaises
Dr. Vazeh Asgarov
Membre du conseil d'administration du Parti du Nouvel Azerbaïdjan (YAP)
Vice recteur de l'Université d'État du pétrole et de l'industrie d'Azerbaïdjan (ASOIU)
L’invasion soviétique a causé la chute de l’Azerbaïdjan démocratique. Avec l’occupation russe le 27 avril 1920, commence une nouvelle branche de l’émigration définie par des chercheurs comme l’émigration des élites. Elle touche essentiellement les commerçants, les bourgeois, les partisans de l’armée nationale, les députés, les ministres, les fonctionnaires d’État, les membres des partis politiques, les intellectuels et les nationalistes. Pays voisin, la Turquie facilitait beaucoup l’émigration non seulement des Azerbaïdjanais, mais aussi d’autres peuples n’acceptant plus de vivre sous l’occupation russe. Ziya Bunyadov (1993 : 22) dans son Qırmizı Terror souligne qu’avec l’arrivé au pouvoir des bolchéviques en Azerbaïdjan, Lénine annonçait : « Vive l’Azerbaïdjan indépendant » et le lendemain de l’occupation d’avril 1920, promettant un avenir florissant au peuple, il commença à éliminer tous ces hommes brillants.
Les riches paysans (Goulag) refusaient de partager leurs productions avec l’État, soit en les cachant dans leurs caves, soit en les détruisant. Ces paysans étaient chassés et expulsés, et en cas de résistance sont assassinés.
Construction d’un canal par des prisonniers du Goulag (1932)
Source : www.mapage.noos.fr
Lorsque l’État soviétique est établi dans les frontières de l’ancien Empire russe, des centaines de milliers, voire des millions de personnes ont été obligées de fuir leurs foyers. Les habitants de la Russie, de l’Ukraine, de la Biélorussie, de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et d’autres républiques, fuyant la persécution, la terreur, les meurtres et autres horreurs sont partis à l’étranger. La vie des émigrés azerbaïdjanais fut également pleine de difficultés, de douleurs et de contradictions, mais en même temps, plein d’honneur et d’intérêt. Les pays qui ont accordé l’asile aux migrants ont été sous pressions diplomatiques de l’URSS et constamment harcelé par la terreur des services de renseignement soviétiques. L’exil à l’étranger n’offrait pas les meilleures conditions pour la lutte contre le bolchévisme. Pourtant, rien ne pouvait empêcher de mener la lutte idéologique jusqu’au bout. Ces évènements font partie du patrimoine et se sont inscrits dans l’histoire. Le travail théorique et pratique de l’émigration azerbaïdjanaise sur son contenu, sa qualité, peut être comparé avec le travail de la migration russe et ukrainienne.
Il existe encore aujourd’hui des opinions publiques qui croient que la déportation des peuples soviétiques a débuté dans les années trente. Mais en réalité, les évènements ont commencé durant les premiers mois et les années du conseil d’administration des bolchéviks, pendant la période de la guerre civile en Russie. De plus, la politique de déportation de l’Union Soviétique avait une préhistoire très solide commencée sous le tsar Pierre le Grand.
Dès le début de la soviétisation jusqu’à la mort de Staline, l’Azerbaïdjan a connu quelques périodes de répressions. La première période a commencé au début des années vingt et concernait les paysans, les politiciens, les religieux et les propriétaires. La deuxième période touchait plutôt les nationalistes, les moussavatistes et les dirigeants des idées panturquistes. Elle a débuté juste après l’installation du pouvoir soviétique en Azerbaïdjan et étant plus longue, a continué jusqu’aux années trente. La troisième période est entrée dans l’histoire sous les noms de Purge, Grandes Terreurs ou Terreur rouge stalinienne.
Malgré le fait que la République Démocratique d’Azerbaïdjan ait cédé le pouvoir sans résistance aux bolchéviks, dans les régions azerbaïdjanaises de Karabakh, de Gandja, de Zakhatala, de Shamkir, etc., la résistance contre l’occupation continua jusqu’aux années trente. Ces combats contre la réoccupation russe étaient organisés non seulement par les riches paysans et les ouvriers, mais aussi par les intellectuels azerbaïdjanais présentant les différents partis politiques (Moussavat, Ittihad). L’attaché militaire de la République Azerbaïdjanaise (RDA) en Turquie A. Askerov-Kenguerlinski (1990) dans son essai La tragédie de l’Azerbaïdjan montre que 48 000 personnes furent assassinées par la terreur rouge rien qu’entre le 28 avril 1920 et août 192168. Mahmoudov (2005) explique qu’après l’installation des bolchéviques en Azerbaïdjan, seulement en une année, 50 000 personnes importantes furent fusillées. L’historien H. Azimov souligne: après l’effondrement de la révolte à Gandja 15 000 Azerbaïdjanais furent assassinés. Les savants représentaient la majorité des 50 000 personnes massacrées entre le 28 avril 1920 et janvier 1921. Nous pouvons citer le nom de N. Yusifbeyli, l’un des premiers ministres de la RDA, qui était porté disparu et fut retrouvé assassiné après un mois d’occupation du territoire azerbaïdjanais. Les destins du grand historien de la littérature azerbaïdjanaise Firudine bey Kothcerli, du ministre étranger Feteli khan Khoyski, du moussavatiste Memmed Baguir bey, du docteur N. R Refibeyli, des généraux Mourad bey, Ahmed bey, Gaytabachi sont similaires.
Faisant la connaissance avec l’histoire soviétique on voit que les Bolchéviks, dès leur installation au pouvoir, organisaient l’élimination des personnes créant le moindre de doute. Mais la vraie tragédie de cette époque débutera en 1936 et prendra une forme assez violente dans les années 1937-1939. D’après Z. Bunyadov (1993), seulement en deux ans et demi, entre 70 000 et 80 000 Azerbaïdjanais de renoms (savants, écrivains, professeurs, militaires, religieux, etc.) sont massacrés, portés disparus et exilés. La « machine de la condamnation » à mort tournait sans arrêt et sans pause et durait maximum 15 à 20 minutes.
Les Azerbaïdjanais, étant des musulmans et ethniquement proches des Turcs, sont considérés comme une menace potentielle du pouvoir soviétique dans le Caucase du sud. Par exemple, si les Géorgiens et les Arméniens sont autorisés à garder leurs alphabets, chez les Azerbaïdjanais il était changé deux fois – d’abord l’alphabet arabe est remplacé par l’alphabet latin, et ensuite, quand le pouvoir kémaliste en Turquie passe à l’alphabet latin, en Azerbaïdjan on le fait remplacé par l’alphabet cyrillique. Les mêmes discriminations et les différentiations peuvent être notées dans les noms de famille des pays Caucasiens. Si les Géorgiens et les Arméniens gardent le suffixe de leurs patronymes durant l’époque soviétique, pour le peuple azerbaïdjanais cela n’est pas le cas. Le plus souvent, les noms arméniens se terminent par -ian ou -yan, ce qui signifie “fils de”. Plusieurs noms chez les Géorgiens se terminent par le suffixe -dze signifiant “le fils”, chvili signifiant l’enfant, ou bien -ouri, -ouli, -ani. Avec l’arrivée du pouvoir soviétique en Azerbaïdjan, les noms commencent à se changer avec plus d’exigence.
Ayant peur de la répression, les suffixes -khan ou -bey sont supprimés des noms et prénoms. Les nouveaux nés portent plus les noms des personnalités historiques, mais par fois mêmes les noms absurdes avec la politique de la collectivisation comme Tractor (le Tracteur), Inqilab (la Révolution), Sovet (Conseil), Octyabr (Octobre, à l’occasion de la révolution d’Octobre), Marlen (combinaison des prénoms Marks et Lénine). En conséquence, le pouvoir soviétique modifie forcement les noms azerbaïdjanais et chez la plupart des familles les suffixes des noms sont remplacés par -ov et -ev. Avec la proclamation de l’indépendance en Azerbaïdjan en 1991, les noms traditionnels azerbaïdjanais commencent à reprendre leur place, les suffixes -li, -zade -oğlu signifiant l’origine géographique, l’appartenance à l’aristocratie et la parenté.
Actuellement en Azerbaïdjan, la réduction des fins des noms est devenue plus répandue et facile au niveau du changement de la documentation. Ce phénomène est seulement l’un des exemples de l’imposition de la politique de l’Empire russe (soviétique) avec le but « d’acculturer » des peuples « manquant » de culture. Le même cas existe dans les autres pays turcophones comme au Kazakhstan, en Ouzbékistan ou au Turkménistan. Par exemple, en Ouzbékistan, même aujourd’hui, les suffixes des noms russes sont conservés. Chez les Tatars de Crimée, il est ressenti le mouvement pour la cessation de l’utilisation des suffixes russes dans les noms. Ils préfèrent être appelés non Umerov, Veliyev, mais simplement Ümer, Veli. Dans les pays baltes, le pouvoir letton jugea que dans un « État indépendant » le peuple ne peut pas garder les noms russes. En Lettonie, la plupart des noms avec les suffixes russes -ov, -ev se sont ajouté une lettre -s et pour cela il fallait absolument « déculturer » la population en rendant à chaque nom une lettre s.
Conclusion
L'occupation
soviétique de l'Azerbaïdjan a engendré une période tragique marquée par
l'émigration, la répression et une transformation profonde de l'identité
nationale. Fuyant la terreur et la persécution, de nombreux Azerbaïdjanais ont
cherché refuge à l'étranger, alors que ceux restés sur place ont lutté contre
un régime oppressif qui visait à éradiquer toute forme de dissidence. Ces
événements, bien qu'empreints de douleur et de perte, font partie d'un héritage
résilient, témoignant de la détermination du peuple azerbaïdjanais à préserver
sa culture et son identité face à l'adversité. L'histoire de cette époque
continue d'inspirer les générations contemporaines dans leur quête de liberté
et de reconnaissance.
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