Les grands
noms
de l’immigration azerbaïdjanaise
Gedir Suleyman ou Suleyman
Gedirov?
S’ils savaient que tu travailles pour l’argent, tu pouvais être étranglé[1]
Gedir Suleyman dans son appartement de Paris. Photo d’archives de Vazeh Asgarov
Jusqu’à la moitié du XIXème siècle dans le droit international, l’utilisation de
la force des prisonniers en temps
de la guerre n’était pas tolérée. La première
convention sur la
captivité militaire est adoptée en 1899 pendant la première conférence du Paix à La Haye. Après la Première Guerre mondiale,
on a abouti à la nécessité
de définir en 1929 la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre[2]. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
l’Allemagne nazie, en violant les conventions internationales, a soumis les détenus à la torture
et
l’assassiner en masse. Avec le déclenchement de
la guerre, des milliers de citoyens soviétiques ont été capturés par les nazis. Après les opérations militaires, la plupart d’entre eux sont morts, un petit parti a réussi à joindre
les siens, une partie est entrée dans les rangs
des
partisans et une partie à cause en raison de blessures, maladies, manque de nourriture est devenue prisonnier de guerre.
Début de l’année 2008, j’ai organisé un séjour
à Paris afin de faire une mission
de terrain. Finalement, le 25 mai avec l’invitation d’Alain Devilliers, fils d’un ancien prisonnier de la Seconde Guerre mondiale, j’ai pu rencontrer Gedir Suleyman dans son appartement près du Bois de Boulogne avec deux autres personnes de la communauté azerbaïdjanaise âgées de 1980 et
1990 ans. Nous avons
profité de ce jour
pour organiser avec
les autres étudiants le
90e anniversaire de Gedir
Suleyman.
Gedir Suleyman dans son appartement de Paris. Photo d’archives de Vazeh Asgarov
Il est né sous le nom de Suleyman Gedirov le 10 octobre 1917 dans le village de Zar de la région d’Abovyan, près d’Erivan (Arménie). Alors qu’il était
âgé de six mois seulement, sa
mère est morte. Son père se remarie et eu encore 8 enfants (4 garçons, 4 filles), mais Gedir reste l’enfant d’un seul couple. Sa belle-mère ne distingue
pas
Gedir de ses enfants. Après des
études en école technique, il devient professeur de
chimie. Dès le premier jour de la Seconde Guerre mondiale
et avec l’invasion anglo-soviétique de l'Iran, Suleyman est mobilisé. À 23 ans, sa vie
change complètement. D’abord il se trouve en Iran, à Astara sur la frontière de
l’Azerbaïdjan, puis à
Bakou, Makhatchkala, Novorossiysk, Anapa, Kertch, et en Crimée. Il
rejoint l’armée de la 44e division soviétique. À Odessa, il est blessé et en mai 1942, avec l’occupation de la Crimée
par
les Allemands il est capturé.
Sa
connaissance de la langue
allemande l’aida pendant l’emprisonnement. Le principe stalinien de garde la dernière balle pour toi-même selon le prikaze 120, l’oblige à rester en Europe et il arrive en 1945 en Alsace.
Il était préférable de
se suicider, mais ne pas se rendre aux Russes souligne
Gedir Suleyman lors de notre conversation. La première chose qu’il apprend est de ne pas dire qu’il est
l’originaire
de l’une des républiques
soviétiques. Par contre, il souligne aussi que les Américains étaient plus intéressés par les migrants russes. Bientôt, se
trouvant à Paris et avec le conseil
d’Alekber bey Toptchibachi, il inverse son nom et prénom
et
en se présentant d’origine turque,
devenant
Gedir Suleyman.
La Deuxième
Guerre mondiale, avec plus de 50 millions
de morts dans le monde entier,
est
marquée par l'horreur et la souffrance. Malheureusement, pour les prisonniers de guerre a débuté
une autre période difficile, car le gouvernement soviétique était
intéressé par
le retour sans exception des personnes déplacées.
Pendant la conférence de Yalta du 4 au 11 février 1945, entre l’Union soviétique (Joseph Staline), le Royaume-Uni (Winston Churchill)
et
les États-Unis (Franklin D. Roosevelt), est décidé le rapatriement obligatoire des personnes déplacées et
des prisonniers de guerre. Gedir
Souleyman comme les autres anciens prisonniers de guerre est obligé de se protéger en changeant souvent de lieu de résidence et de
travail (Tolstoï, 1980).
Gedir Suleyman avec
Vazeh Asgarov – jeux de döymə
Photo d’archives de Vazeh Asgarov
Aujourd’hui, la communauté azerbaïdjanaise
l’appelle Gedir emi (oncle Gedir). Le but
de choisir un nom turc était de s’installer un jour en Turquie pour d’être proche à son pays.
Par contre, la politique de la Turquie de cette période, … ne pas sacrifier un million de Turcs pour quelques Azéries[3] ne permet pas de réaliser cette idée. Cependant, il ne décide pas
de quitter Paris, pourtant, pour sa sécurité, il s’installe à l’extérieur de la capitale. À cette époque, il n’y avait pas une obligation d’expulser les étrangers et Gedir emi fait une demande à l’Alliance Française pour continuer ses études. Pour la régularisation
de son séjour en France,
il paraissait intéressant de s’inscrire à la Légion
étrangère. Mais il ne le décide pas.
La situation change plus tard dans les années 1950, quand Winston Churchill
appel tous les pays alliés à reconnaître les prisonniers de guerre en tant que réfugié politique. La Convention de
Genève
du 28 juillet 1951 relative
au statut de réfugié accordait le statut de réfugié aux
personnes qui en faisaient la demande.
Gedir Suleyman avec la communauté azerbaïdjanaise dans son appartement en 2008
Photo d’archives de Vazeh Asgarov
Après la guerre, Gedir emi, grâce à ses connaissances du métier, trouve un
travail dans
un laboratoire de chimie et à son ami français. Il exerce plusieurs emplois avant de trouver un emploi près
de Bois du Boulogne dans un restaurant d’un compatriote issu de la première émigration. À cette époque, il y avait beaucoup de russophones à Paris de la première et la
seconde immigration. Il existait des théâtres, gymnases, magasins et restaurants russes. On comptait une quinzaine
d’azerbaïdjanais soviétiques à Paris, se souvient
Gedir lors de notre
conversation. C’est ici qu’en 1950, Gedir Suleyman rencontre
sa future femme Raïssa Vasilevna d’origine russe. En 1952, leur fils unique Boris est né. Mais jusqu’à l’âge de 4 ans Boris et sa maman sont obligés de résider
sans Gedir en Allemagne
où Raïssa avait trouvé refuge après la guerre. En 1956, Gedir emi obtient la nationalité française et ramène sa femme
et son fils Boris en France.
Avec la nationalité française, Gedir Suleyman essaie de trouver ses proches et aussi
tente de partir à Bakou. Pour cela, il fait deux fois la demande à l’ambassade soviétique où il
reçoit deux fois une réponse négative. En 1972 étaient
organisés
les concerts des artistes
soviétiques dans le cadre de la culture de l’Union soviétique à Paris. Parmi eux se trouvait aussi le neveu de Djeyhoun et Uzeir Hadjibeyli, le chef d’orchestre connu comme Maestro
Niyazi. Il s’intéresse à faire la connaissance avec les émigrés azerbaïdjanais de France et à chercher ses cousins.
Ainsi que se souvient Gedir emi cette rencontre
: la première fois quand
j’ai vu sa carte du député
j’ai perdu la parole[4]. Plus tard, Niyazi l’aidera à réaliser
sa première visite en Azerbaïdjan qui semblait presque impossible
pour certains en ce temps-là.
Il
souligne dans le journal Bakou que
: après 33 ans, je me suis trouvé de nouveau à Bakou. À mon départ, mes frères étaient tout petits, mais à mon retour ce sont des hommes âgés qui m’ont accueilli (Journal Bak, 2009 Кадыр Сулейман, p.90-91). Ensuite, il réalise encore
quelques voyages en Azerbaïdjan. Il effectue le dernier
en
2001 pour participer au Ier Congrès des Azerbaïdjanais du monde. Dans son interview au journal Bakı, il dit qu’il a récemment
hébergé deux
étudiantes ukrainiennes. Apparemment, il n’oubliera jamais
comment les femmes ukrainiennes malgré tous les dangers le nourrissaient quand ils avaient transité
par
l’Ukraine.
À la fin de notre conversation à ma question
: est-ce que vous êtes satisfait de votre
destin ? Gedir Suleyman réfléchit quelques instants et il a répondu ainsi : les traditions de la
famille en France ne sont pas pareilles à celles de l’Azerbaïdjan. L’homme n’est jamais content de sa vie. Par contre, je suis chanceux d’avoir été sain et
sauf
pendant la guerre et
d’avoir à me contrôler moi-même.
Aujourd’hui, Gedir emi a 94 ans et vit seul dans son appartement proche du Bois de Boulogne et joue deux fois par semaine à la pétanque. Son fils Boris, avec sa femme et ses trois fils Alexandre, Volodya et Alechka vit à Paris. Comme
Gedir emi souligne, les enfants grandissent et partent maintenant
vers leur vie française[5].
[5] Idem
Vazeh ASGAROV 2014" L'immigration des Azerbaïdjanais L'immigration générale des Azerbaïdjanais, histoire et perspectives: le cas de la France" PAF
https://www.ljubljuknigi.ru/store/gb/book/l-immigration-des-azerba%C3%AFdjanais/isbn/978-3-8416-2222-8